Duralex, la renaissance d’un mythe ouvrier — quand l’épargne citoyenne rallume le feu de l’usine
Il y a des marques qui appartiennent à la mémoire collective autant qu’à l’économie. Duralex en fait partie.
Du verre de cantine des années 60 à l’icône du design industriel français, la société orléanaise a connu la gloire, la faillite et la résurrection.
En 2024, ses salariés l’ont transformée en SCOP. En 2025, des milliers de citoyens l’ont sauvée une seconde fois, en finançant directement sa modernisation à hauteur de 5 millions d’euros.
Ce qui aurait pu n’être qu’une opération financière devient un symbole : celui d’une nouvelle économie associative, où le travail, le capital et la communauté s’allient pour redonner vie à la production française.
Introduction : Duralex, le verre trempé de la mémoire française
Duralex, c’est plus qu’un nom : c’est un souvenir collectif gravé dans la transparence du verre. Dans les cantines scolaires, dans les cuisines modestes ou sur les tables familiales, le petit verre Gigogne ou Picardie a accompagné plusieurs générations de Français. Résistant, empilable, presque indestructible — il incarnait cette idée d’un objet simple, démocratique et durable, typique de l’après-guerre.
Née en 1945 à La Chapelle-Saint-Mesmin, près d’Orléans, Duralex doit son nom à la devise latine Dura lex, sed lex (“la loi est dure, mais c’est la loi”) et à son procédé de trempe du verre breveté dès les années 1930. Le succès est immédiat : exportations massives, reconnaissance mondiale, et un symbole d’ingéniosité industrielle “à la française”.
Mais derrière cette success-story, Duralex a connu les aléas de la mondialisation : rachats successifs, délocalisations manquées, concurrence asiatique, flambée énergétique. Entre 2008 et 2024, l’entreprise a frôlé plusieurs fois la disparition, avant de devenir un cas d’école du sauvetage industriel par les salariés eux-mêmes.
En 2024, quand la hausse des coûts de l’énergie a mis l’usine à genoux, une poignée de salariés a refusé la fatalité. Sous la conduite de François Marciano, directeur du site, ils ont transformé Duralex en SCOP (Société Coopérative et Participative), redonnant aux travailleurs la majorité du capital et du pouvoir de décision. Ce choix, audacieux mais cohérent avec l’esprit originel de la marque, a marqué un tournant : la fabrique de verres de cantine devenait aussi un laboratoire social.
Un an plus tard, à l’automne 2025, l’entreprise a franchi une nouvelle étape : une levée de 5 millions d’euros par financement participatif auprès du grand public. En quelques heures, des milliers de citoyens ont investi pour soutenir la renaissance d’un patrimoine industriel. Ce geste collectif, entre attachement sentimental et foi en une économie plus démocratique, fait de Duralex le symbole d’une France qui veut produire autrement.
I. De la crise énergétique à la renaissance coopérative (2020–2025)
Lorsque la pandémie de 2020 a ralenti le monde, Duralex sortait déjà de plusieurs années fragiles. La marque, sauvée en 2008 puis relancée par un investisseur privé, peinait à renouer avec la rentabilité. Ses machines vieillissantes, son site unique de La Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret) et une dépendance forte à l’énergie faisaient de l’entreprise un colosse de verre : solide d’apparence, mais vulnérable aux secousses économiques.
2021–2022 : le choc énergétique
L’explosion des prix du gaz et de l’électricité a été un coup de massue. Le four principal, cœur de la production, consomme plusieurs mégawatts-heures par jour. À l’automne 2022, la facture énergétique avait été multipliée par plus de six. Pour une entreprise de 230 salariés, impossible de suivre sans soutien massif.
Duralex doit suspendre sa production pendant plusieurs mois pour limiter les pertes — une décision symbolique, tant elle marque la fragilité de tout un pan de l’industrie française.
2023 : redressement et incertitude
En 2023, malgré la reprise partielle, les dettes s’accumulent. L’entreprise est placée en redressement judiciaire. Les candidats repreneurs se succèdent sans projet industriel crédible. Les salariés craignent le pire : liquidation ou démantèlement. Pourtant, au sein de l’usine, une idée commence à germer — celle de reprendre collectivement l’outil, plutôt que de le voir disparaître.
C’est là qu’entre en scène François Marciano, directeur du site depuis 2008, profondément attaché à ses équipes. Son projet : transformer Duralex en SCOP, c’est-à-dire en société détenue majoritairement par ses salariés.
Juillet 2024 : la victoire des salariés
Le 26 juillet 2024, le tribunal de commerce d’Orléans valide la reprise par la nouvelle SCOP Duralex International. Une centaine de salariés deviennent sociétaires, détenant plus de 51 % du capital et 65 % des droits de vote, conformément au modèle coopératif.
Les collectivités locales, la Région Centre-Val de Loire et Bpifrance apportent un appui financier décisif pour redémarrer le four et moderniser la production. C’est une renaissance, mais aussi un pari : celui de prouver que les salariés peuvent gouverner une entreprise industrielle tout en restant compétitifs.
“On s’est dit que si personne ne voulait sauver Duralex, alors ce serait à nous de le faire. Ce four, c’est notre cœur, notre savoir-faire, notre fierté.”
— François Marciano, président de la SCOP Duralex (propos rapportés, 2024)
Automne 2025 : le souffle citoyen
Un an plus tard, la jeune SCOP franchit une nouvelle étape : ouvrir son capital participatif au grand public. En novembre 2025, Duralex lance une levée de 5 millions d’euros via la plateforme Lita.co, permettant à tout citoyen d’investir à partir de 100 €.
L’opération suscite un enthousiasme inattendu : en quelques heures, la somme demandée est dépassée, les souscriptions grimpent jusqu’à plus de 16 millions d’euros promis.
Les conditions de l’investissement sont claires : titres participatifs à 8 % sur 7 ans, assortis d’une réduction d’impôt de 18 %, mais sans garantie du capital.
Derrière les chiffres, c’est une émotion nationale : des milliers de Français participent à sauver une marque de leur enfance, tout en soutenant une nouvelle forme d’économie — citoyenne, coopérative et locale.
“C’est la preuve qu’une entreprise française, lorsqu’elle appartient à ses salariés et à ses clients, peut susciter une adhésion bien plus forte que toutes les campagnes marketing.”
— Chronique économique, novembre 2025
2025 : vers une “économie associative”
Avec ce double mouvement — reprise coopérative et financement citoyen — Duralex devient un laboratoire du futur.
Ce n’est plus seulement une usine de verres trempés, mais un prototype de l’économie associative : celle où le capital, le travail et l’épargne dialoguent pour construire ensemble la pérennité d’un outil commun.
Dans un contexte où les citoyens cherchent à redonner du sens à leur argent, l’expérience Duralex trace une voie : celle d’une économie où la rentabilité sert le bien collectif plutôt que l’inverse.
II. Anatomie d’une SCOP : l’entreprise où le capital travaille pour l’humain
Dans le paysage économique français, les SCOP (Sociétés Coopératives et Participatives) occupent une place à part. Ni sociétés anonymes classiques ni associations, elles constituent un troisième modèle : celui d’une entreprise qui appartient à ses salariés, qui la gouvernent selon le principe démocratique “une personne = une voix”, et où le profit devient un moyen, non une fin.
Un modèle né de la Résistance
L’esprit coopératif moderne s’enracine dans l’après-guerre, lorsque des ouvriers décident de reprendre leurs usines abandonnées. En 1947, la loi reconnaît le statut spécifique de la SCOP, permettant aux travailleurs d’être à la fois salariés et associés.
Duralex, née en 1945, revient à cet esprit d’origine : reconstruire ensemble, autour d’un outil industriel, une indépendance collective.
Trois principes structurants
- La détention majoritaire par les salariés
Les salariés doivent détenir au minimum 51 % du capital et 65 % des droits de vote. Cela garantit que les grandes décisions — investissement, stratégie, rémunérations — ne peuvent être prises sans leur accord. - La gouvernance démocratique
Chaque associé dispose d’une voix, quel que soit son poste ou sa part dans le capital. C’est l’Assemblée Générale, et non un conseil d’actionnaires anonymes, qui définit la trajectoire de l’entreprise. - Le partage équitable des résultats
En moyenne :- 40 % des bénéfices sont reversés aux salariés sous forme de participation,
- 40 % sont réinvestis dans l’entreprise,
- 20 % rémunèrent le capital social.
Cette répartition assure la solidité financière tout en reconnaissant la contribution du travail humain.
“Dans une SCOP, l’argent circule, mais il ne commande pas.”
— Maxime Le Floch, Union régionale des SCOP du Centre
Les organes de décision
Le schéma est simple mais efficace :
- L’Assemblée générale regroupe tous les salariés-associés et fixe les grandes orientations.
- Le gérant (souvent élu parmi eux) incarne la direction exécutive, tout en rendant compte régulièrement à la collectivité.
- Le Conseil d’administration assure le lien entre stratégie et quotidien, sans dérive bureaucratique.
Chez Duralex, François Marciano a été élu président de la SCOP, mais reste “premier parmi ses pairs” : il dirige, sans dominer.
Encadré : SCOP vs SA – le duel des modèles
| Critère | Société Anonyme (SA/SAS) | SCOP |
|---|---|---|
| Propriétaires | Actionnaires extérieurs | Salariés (≥51%) |
| Décision | Pondérée par le capital | 1 personne = 1 voix |
| Objectif principal | Rentabilité du capital | Pérennité de l’entreprise et de l’emploi |
| Répartition des bénéfices | Dividendes aux actionnaires | Participation + réinvestissement |
| Gouvernance | Conseil d’administration | Assemblée démocratique |
| Transmission | Vente ou fusion | Transmission collective, souvent locale |
Pourquoi la SCOP Duralex est exemplaire
Le choix du statut coopératif pour une entreprise industrielle lourde est audacieux. Contrairement à un café associatif ou une startup citoyenne, Duralex doit affronter les contraintes d’un marché mondial : export, logistique, coûts d’énergie, normes techniques.
Ce que prouve cette reprise, c’est qu’un outil industriel peut rester compétitif sans renoncer à la démocratie économique.
Les salariés-sociétaires deviennent co-responsables : ils comprennent mieux la réalité des coûts, s’impliquent dans la qualité, anticipent les problèmes et défendent leur entreprise comme un bien commun.
Les défis du modèle
Rien n’est magique pour autant. Les SCOP doivent composer avec :
- une capacité d’investissement souvent plus limitée que celle d’un grand groupe,
- un accès au crédit plus complexe, les banques exigeant des garanties,
- la lenteur inhérente à la décision collective.
Mais ce temps long, s’il est bien maîtrisé, devient un atout : il protège l’entreprise des coups de volant spéculatifs et des rachats hostiles.
À travers Duralex, la SCOP retrouve sa vocation : faire de l’entreprise un instrument du bien commun.
L’expérience montre qu’il ne s’agit pas d’une utopie nostalgique, mais d’un modèle viable, à condition d’être adossé à des outils financiers modernes et à une solidarité citoyenne. C’est précisément ce que démontre la levée participative de 2025 — sujet de la prochaine partie.
III. Le pari du financement citoyen : quand l’épargne populaire rallume le four
Après avoir repris le contrôle de leur outil industriel, les salariés de Duralex ont compris qu’il restait une autre bataille à gagner : celle du capital.
Redémarrer un four verrier, c’est investir plusieurs millions d’euros — pour la maintenance, la modernisation, les moules, la logistique, l’énergie.
Or, les banques se montrent prudentes, et les aides publiques, bien que réelles, ne couvrent pas tout.
D’où l’idée de faire appel non pas à des investisseurs anonymes, mais à la communauté des citoyens.
Une levée historique : 5 millions d’euros en quelques heures
En novembre 2025, la SCOP Duralex lance une campagne de financement participatif sur la plateforme Lita.co, spécialisée dans les placements à impact social et environnemental.
L’objectif initial : 5 millions d’euros.
Le résultat : plus de 16 millions d’euros promis en moins de 48 heures, un record pour une entreprise industrielle française.
Ce succès fulgurant s’explique par un triple ressort :
- L’attachement émotionnel : chaque Français a bu un jour dans un verre Duralex.
- La confiance dans le modèle SCOP : gouvernance démocratique, transparence, ancrage local.
- L’attractivité du rendement : un taux fixe de 8 % sur 7 ans, assorti d’une réduction d’impôt de 18 % grâce au dispositif IR-PME.
Comment fonctionne ce financement ?
Les investisseurs, qu’ils soient particuliers ou entreprises, souscrivent à des titres participatifs, une forme d’obligation spécifique aux sociétés coopératives.
Ces titres ne donnent pas de droit de vote (le pouvoir reste entre les mains des salariés-associés), mais permettent de :
- percevoir un intérêt annuel fixe (8 %),
- récupérer leur capital à l’échéance (7 ans),
- bénéficier d’un avantage fiscal (réduction d’impôt sur le revenu).
Schéma simplifié :
| Acteurs | Apport | Rôle / Bénéfice |
|---|---|---|
| Citoyens investisseurs | Épargne (≥100 €) | 8 %/an + IR -18 % |
| SCOP Duralex | Émission de titres participatifs | Financement de la modernisation industrielle |
| Lita.co | Plateforme agréée | Interface réglementée, transparence, reporting |
| Collectivités / Région | Soutien logistique et institutionnel | Garantie politique et territoriale |
Un financement ancré dans la réalité productive
Les fonds levés sont destinés à plusieurs axes précis :
- Modernisation du four principal, pour améliorer l’efficacité énergétique ;
- Développement de nouveaux moules pour diversifier la gamme ;
- Constitution de stocks stratégiques pour stabiliser la production face aux fluctuations du gaz ;
- Renforcement commercial et export (Europe du Nord, Asie, Amérique).
L’argent collecté n’alimente donc pas la spéculation : il circule dans l’économie réelle, soutient l’emploi local et réduit la dépendance aux banques.
“Chaque euro investi dans Duralex, c’est un euro qui sert à fabriquer, pas à spéculer.”
— Déclaration de la direction de la SCOP lors du lancement de la levée, novembre 2025
Le risque assumé, la confiance retrouvée
Bien sûr, les investisseurs sont avertis : le capital n’est pas garanti.
Les titres participatifs sont subordonnés à la dette bancaire, et leur liquidité est quasi nulle avant l’échéance.
Mais cette transparence même renforce la confiance : les souscripteurs savent où va leur argent et à quoi il sert.
C’est une nouvelle forme de lien entre le citoyen et l’industrie, à mi-chemin entre l’acte économique et le geste civique.
Une révolution silencieuse de l’épargne
Le cas Duralex révèle un basculement plus large : celui d’une épargne citoyenne en quête de sens.
Les Français détiennent plus de 6 000 milliards d’euros d’épargne financière, dont à peine 2 % investis dans l’économie réelle productive.
Si ne serait-ce que 1 % de cette épargne était orienté vers des projets coopératifs comme Duralex, cela représenterait 60 milliards d’euros de capital patient, capable de refonder le tissu industriel.
Cette perspective rejoint le concept que tu évoques souvent, Richard : l’économie associative — un système où le travail, le capital et la consommation s’unissent pour produire du bien commun.
Duralex en incarne la démonstration concrète :
- les salariés y apportent leur savoir-faire,
- les citoyens leur confiance,
- et la collectivité son cadre et ses infrastructures.
Encadré : Titres participatifs, mode d’emploi
| Caractéristique | Détail |
|---|---|
| Émetteur | SCOP Duralex |
| Type d’investissement | Titre participatif (obligation coopérative) |
| Montant minimal | 100 € |
| Durée | 7 ans |
| Rendement annuel | 8 % brut |
| Avantage fiscal | -18 % IR (dispositif IR-PME) |
| Risques | Perte partielle/total du capital, illiquidité |
| Plateforme | Lita.co (agrément AMF) |
| Utilisation des fonds | Modernisation, four, diversification, stocks |
Cette opération marque un tournant : pour la première fois depuis des décennies, une usine française se finance directement auprès de ses citoyens, sans passer par la Bourse, ni dépendre d’un fonds étranger.
C’est un retour à la souveraineté économique, mais par le bas — par la confiance populaire, pas par décret.
IV. La nouvelle Duralex : réinventer un patrimoine industriel
Reprendre une entreprise est une chose. La rendre viable dans un marché globalisé en est une autre.
Pour la SCOP Duralex, la question n’est plus seulement de survivre, mais de se réinventer — sans trahir l’ADN d’un produit que tout le monde connaît.
1. L’usine, cœur battant du renouveau
Le site de La Chapelle-Saint-Mesmin, près d’Orléans, reste l’un des rares fours verriers français à fabriquer encore intégralement sur le territoire national.
L’enjeu immédiat a été sa remise à niveau technologique : le four principal, vieux de plus de dix ans, a nécessité un investissement lourd pour être moins énergivore, plus précis, et mieux adapté à des séries flexibles.
Les travaux engagés en 2025 grâce aux nouveaux fonds visent :
- une baisse de 20 % de la consommation énergétique,
- une augmentation de 15 % de la productivité,
- et la création de nouvelles lignes de production capables de petites séries design.
Ces modernisations doivent assurer la pérennité du site sur dix ans, avec des cycles de maintenance plus espacés.
2. Le pari de la montée en gamme
Pendant des décennies, Duralex a été associée au verre de cantine : solide, bon marché, utilitaire.
Mais dans un monde où la durabilité devient un critère de prestige, ce positionnement change de sens.
Le “verre incassable” n’est plus banal, il est écoresponsable.
Sous la houlette de la nouvelle direction, la SCOP explore trois axes :
- Design et artisanat industriel : nouvelles collections inspirées des années 1950 et 1970, fabriquées avec des moules rénovés.
- Made in France haut de gamme : repositionnement auprès des grandes enseignes de décoration et des hôtels-restaurants.
- Objets patrimoniaux : séries limitées numérotées, certifiées par la SCOP, valorisant l’authenticité du verre trempé français.
Ce repositionnement vise à redonner à Duralex une identité culturelle, pas seulement utilitaire.
“Nos verres racontent une histoire. En les gardant français, on garde aussi un savoir-faire et une mémoire.”
— Témoignage d’une ouvrière soufflante, automne 2025
3. Le marché mondial : un paradoxe stratégique
Le verre trempé reste très demandé à l’international, mais la concurrence est rude.
Les producteurs turcs et asiatiques vendent à bas prix, dopés par une énergie moins chère et une main-d’œuvre à bas coût.
Pour s’en sortir, la SCOP ne cherche plus à concurrencer sur les prix, mais sur la qualité et la traçabilité :
- Certification “Origine France Garantie”,
- Communication sur la neutralité carbone du cycle de production,
- Accent sur la durabilité du produit (10 à 15 ans de vie utile contre 2 à 3 pour la plupart des verres importés).
Cette logique s’inscrit dans un marché de niche mais rentable, soutenu par la demande croissante des consommateurs européens pour des produits éthiques et durables.
4. Une marque patrimoniale réenchantée
Duralex, c’est un mot qui évoque une époque, une texture, un souvenir.
L’entreprise capitalise aujourd’hui sur ce capital émotionnel en construisant une communication de marque coopérative :
- Campagnes centrées sur les visages des salariés, pas sur les produits.
- Visites publiques du site de production, pédagogie sur la fabrication du verre trempé.
- Partenariats avec des écoles d’art et de design pour réinterpréter les modèles historiques.
- Collaboration avec les artisans verriers français pour développer des gammes hybrides (mi-industrielles, mi-artisanales).
La marque assume désormais une image humaine, durable et collective, qui dépasse la simple nostalgie.
Duralex ne vend plus seulement des verres : elle vend une histoire nationale réactualisée.
5. Le défi de la distribution et du numérique
La SCOP a entamé la digitalisation de sa chaîne commerciale :
- Boutique en ligne repensée, avec storytelling coopératif ;
- Présence sur les plateformes éthiques et circuits courts (Label Emmaüs, Ulule Boutique, etc.) ;
- Déploiement de contrats directs avec les collectivités locales (cantines scolaires, administrations, CHR publics) pour remplacer les importations.
Cette stratégie rapproche la marque de ses soutiens naturels : citoyens, institutions, associations — tout l’écosystème de l’économie solidaire.
6. Une vision industrielle à long terme
La SCOP vise la stabilisation du chiffre d’affaires autour de 25 à 30 millions d’euros d’ici 2027, avec un effectif maintenu à environ 200 salariés.
Mais l’objectif dépasse la rentabilité : il s’agit d’installer un modèle industriel coopératif durable, exportable dans d’autres filières menacées (céramique, textile, outillage, imprimerie…).
Duralex pourrait devenir une vitrine de la relocalisation participative, preuve qu’il est possible de produire en France sans dépendre d’actionnaires extérieurs.
Ainsi, la stratégie industrielle et commerciale de Duralex n’est pas seulement un plan d’affaires : c’est un manifeste pour la reconquête de l’autonomie productive.
Et derrière cette renaissance, se profile un enjeu plus vaste — celui d’une nouvelle économie fondée sur la coopération et l’épargne citoyenne.
V. Duralex, laboratoire vivant de l’économie associative
L’histoire récente de Duralex dépasse le simple récit d’une entreprise sauvée.
Elle symbolise un changement de paradigme : celui d’une économie qui remet les rapports humains au cœur de la production, où le capital devient un outil collectif plutôt qu’un pouvoir d’appropriation.
Ce mouvement, encore embryonnaire, s’inscrit dans ce que l’on peut appeler l’économie associative — un modèle où salariés, citoyens, collectivités et consommateurs s’allient pour faire vivre un bien commun productif.
1. Une triple alliance : travail, capital et communauté
L’économie associative repose sur un équilibre tripolaire :
- Le travail : celui des salariés-sociétaires, qui investissent leur savoir-faire, leur temps, leur responsabilité.
- Le capital : celui des citoyens-épargnants, qui apportent la ressource financière nécessaire à la modernisation et à l’innovation.
- La communauté : les collectivités locales et les consommateurs, qui assurent le soutien social et politique à la structure.
Duralex réunit ces trois pôles en une même dynamique.
Le travail n’est plus subordonné au capital, mais le capital vient soutenir le travail.
Et la communauté — par sa confiance et son attachement symbolique — devient garante du sens de l’entreprise.
“Nous ne sommes plus des salariés d’une marque : nous sommes les gardiens d’un héritage commun.”
— Déclaration d’un ouvrier verrier, assemblée générale SCOP, septembre 2025
2. Quand la valeur se partage au lieu de se concentrer
Dans une économie associative, le profit n’est pas nié : il est relocalisé.
La richesse créée reste dans le circuit vertueux du territoire :
- participation des salariés,
- réinvestissement productif,
- retombées fiscales locales,
- impact écologique réduit.
À l’inverse de la logique capitaliste traditionnelle — extraction, concentration, dividendes, délocalisation —, la SCOP Duralex prouve qu’une rentabilité raisonnable peut coexister avec une équité durable.
C’est une économie du “assez” plutôt que du “toujours plus”.
3. Une gouvernance qui forme à la citoyenneté
L’économie associative n’est pas qu’un mode de production : c’est aussi une école de démocratie.
Chaque salarié associé apprend à lire un bilan, à voter un budget, à débattre des orientations collectives.
La transparence et la discussion remplacent la hiérarchie verticale.
Ce mode de fonctionnement a un impact sociétal profond :
il transforme des travailleurs en citoyens économiques, capables de comprendre et d’assumer la complexité du monde productif.
Et cette compétence démocratique peut se diffuser, bien au-delà de l’entreprise.
4. Le rôle des territoires
Dans le cas de Duralex, la Région Centre-Val de Loire, la métropole orléanaise et plusieurs acteurs publics ont joué un rôle déterminant : soutien logistique, prêts à taux zéro, accompagnement juridique.
Ce partenariat illustre un principe clé de l’économie associative :
l’autonomie locale n’exclut pas la coopération institutionnelle, elle en dépend.
Chaque territoire dispose de ressources dormantes — savoir-faire, friches industrielles, épargne, solidarité — qu’il peut réactiver à travers des coopératives citoyennes de production.
L’avenir pourrait voir naître un maillage de “mini-Duralex”, adaptant le modèle à d’autres filières : agroalimentaire, textile, construction, services publics de proximité.
5. Les freins à lever
Toutefois, la généralisation de ce modèle suppose plusieurs conditions :
- Un cadre fiscal adapté : reconnaissance pleine des apports citoyens dans les SCOP et exonération des doubles impositions.
- Des circuits de financement dédiés : fonds publics d’investissement participatif, banques coopératives renforcées.
- Une culture de la transparence : reporting régulier, gouvernance ouverte, formation des sociétaires.
- Une légitimité politique claire : que l’État voie dans ces initiatives non pas des exceptions, mais un pilier d’avenir.
Sans cela, les expériences resteront isolées, portées par la passion de quelques pionniers.
Or, Duralex montre qu’il est possible de systématiser la réussite coopérative à l’échelle nationale.
6. Le message de Duralex : refonder la confiance
Ce que cette aventure nous enseigne, c’est que la confiance ne se décrète pas — elle se construit par la cohérence entre le discours et les actes.
Quand une entreprise appartient à ceux qui la font vivre, quand son financement est assuré par ceux qui la soutiennent, et quand ses bénéfices servent à la maintenir plutôt qu’à la vider, alors la confiance renaît.
Et cette confiance est, aujourd’hui, la ressource la plus rare de l’économie.
Ainsi, Duralex ne se contente pas de fabriquer des verres : elle fabrique un nouveau contrat social.
Celui où les citoyens ne sont plus spectateurs de l’économie, mais copropriétaires du monde productif.
Une vision à la fois modeste et révolutionnaire : celle d’une France qui, à travers son savoir-faire et son attachement à la justice économique, retrouve le goût du collectif.
VI. Du “cas Duralex” au modèle reproductible : guide d’une renaissance coopérative
Duralex n’est pas un miracle isolé : c’est une méthode qui peut être adaptée à d’autres secteurs, à condition de respecter quelques principes simples.
Transformer une entreprise en bien commun productif, c’est possible — mais cela suppose une rigueur économique, une vision partagée et une alliance solide entre travailleurs, citoyens et territoires.
1. Étape 1 – Le diagnostic industriel
Avant tout, il faut évaluer la viabilité réelle de l’entreprise :
- L’outil de production est-il modernisable ?
- Le produit a-t-il encore un marché potentiel (local, national, export) ?
- Les compétences clés sont-elles présentes chez les salariés ?
- Le modèle de gestion peut-il être simplifié ou rendu plus agile ?
Le diagnostic doit être mené par un binôme technique et économique : ingénieur du site + expert comptable ou chambre régionale des SCOP.
L’objectif est d’établir un plan clair sur 5 ans : production, énergie, distribution, investissements nécessaires.
2. Étape 2 – La constitution du collectif fondateur
C’est le cœur du processus : créer le noyau dur des salariés porteurs du projet.
Ce groupe doit :
- définir les valeurs communes (solidarité, démocratie, ancrage local),
- désigner un comité de pilotage provisoire,
- entamer les démarches juridiques pour devenir associés,
- et surtout, faire bloc face à la tentation du découragement ou du rachat opportuniste.
Un bon collectif fondateur, c’est la moitié du succès d’une future SCOP.
“Le collectif est le premier capital d’une coopérative.”
— Fédération nationale des SCOP
3. Étape 3 – L’architecture financière
Le financement d’une reprise ou d’une relance coopérative repose sur un mix équilibré :
- Apport des salariés : parts sociales (souvent 1 000 à 5 000 € chacun) ;
- Prêts solidaires et subventions publiques : régions, Bpifrance, fonds européens ;
- Épargne citoyenne : levée participative (Ulule, Lita, Miimosa, Enerfip, etc.) ;
- Banques coopératives : Crédit Coopératif, NEF, Caisse d’Épargne, Banque Populaire ;
- Fondations d’entreprise : soutien aux transitions sociales et écologiques.
Le modèle Duralex a prouvé qu’une levée de fonds grand public pouvait compléter efficacement les financements institutionnels, tout en créant un lien symbolique fort entre producteurs et consommateurs.
4. Étape 4 – La gouvernance coopérative
La SCOP repose sur la démocratie interne.
Mais cela ne signifie pas improvisation : il faut une gouvernance claire et des règles écrites.
Les points essentiels :
- Assemblée générale annuelle obligatoire ;
- Gérant élu, mandaté mais révocable ;
- Conseil coopératif (10 à 20 membres selon la taille) ;
- Formation continue des salariés-associés à la lecture de comptes et à la gestion coopérative.
La clé est d’équilibrer l’efficacité décisionnelle et la participation réelle.
Duralex a réussi cette alchimie grâce à une direction élue respectée, mais toujours contrôlée par ses pairs.
5. Étape 5 – La communication citoyenne
Une SCOP doit raconter une histoire.
Le public n’investit pas seulement pour un rendement : il participe à une aventure collective.
Pour cela, il faut :
- mettre en avant les visages des salariés,
- rendre visible la production (portes ouvertes, vidéos, ateliers pédagogiques),
- expliquer à quoi sert l’argent,
- publier des bilans clairs et réguliers.
La transparence crée la fidélité.
Duralex a fait de cette sincérité sa marque de fabrique.
6. Étape 6 – Les erreurs à éviter
- Sous-estimer la trésorerie : une SCOP ne vit pas d’idéaux, mais de marges.
- Reporter les décisions collectives : les différends non réglés tôt deviennent des fractures.
- Dépendre d’un seul financeur : la pluralité des sources assure la résilience.
- Négliger la formation : sans culture coopérative, la démocratie interne se fige.
- Oublier la dimension commerciale : la solidarité ne remplace pas le marché.
7. Vers une cartographie des “SCOP de demain”
Les secteurs les plus propices à la réplique du modèle Duralex sont :
- Agroalimentaire local (transformations, conserveries, boulangeries artisanales) ;
- Textile durable (filatures, ateliers de couture régionaux) ;
- Éco-construction (matériaux biosourcés, menuiseries, isolation naturelle) ;
- Énergie citoyenne (centrales photovoltaïques coopératives) ;
- Culture et médias (imprimeries, labels, maisons d’édition).
L’idée centrale : produire localement, gouverner collectivement, financer solidairement.
Chaque territoire pourrait disposer, à terme, d’un “écosystème coopératif” articulé entre :
- SCOP de production,
- SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) pour les services partagés,
- et plateformes citoyennes d’investissement.
8. Une nouvelle architecture économique
Ce modèle, s’il se généralise, pourrait transformer en profondeur le tissu industriel français.
L’État conserverait son rôle de régulateur, les collectivités deviendraient facilitateurs, et les citoyens cofinanceurs.
Ce ne serait pas une révolution contre l’économie de marché, mais une révolution dans le marché :
une économie régénérative, humaine et durable, où la performance se mesure autant en emplois qu’en utilité sociale.
Conclusion générale :
Duralex, après avoir résisté aux crises, incarne désormais une forme d’avant-garde populaire.
Elle nous rappelle que la souveraineté économique n’est pas qu’une affaire d’État, mais d’initiatives partagées.
Chaque fois qu’un salarié devient associé, qu’un citoyen devient investisseur, qu’un territoire retrouve la fierté de produire, une part de la France se reconstruit.














